C'est rien moins que le « photomaton », ou presque, présenté pour la première fois lors de l'exposition universelle de 1889. Les amateurs de technologie devraient saliver à la lecture de cet article paru dans la revue « La Nature » cette même année. Comme souvent dans cette revue, à cette époque, les dessins sont de Louis Poyet, l'oncle de notre photographe sparnacien Jean Poyet.

LA PHOTOGRAPHIE AUTOMATIQUE par Albert Londe

 
L'attention des visiteurs à l' exposition de 1889, sera très certainement attirée par un appareil qui va être prochainement exposé par M. Enjalbert, dont La Nature a déjà décrit plusieurs fois les ingénieuses inventions.
Cet appareil, dont la figure 1 représente l'ensem­ble, est destiné à exécuter toutes les opérations pho­tographiques nécessaires pour obtenir le portrait du modèle qui s'est placé dans un fauteuil ad hoc, et qui a, au préalable, déposé une pièce d'argent dans la caisse.
La figure 2 montre le détail de la partie exté­rieure de l'appareil. A droite, l'indication de la pièce qui doit être introduite dans la caisse pour mettre l'appareil en action; à gauche, un repère pour fixer l'œil du modèle pendant la pose. Au-dessus, une série de cadrans divisés en secteurs sont parcourus par des aiguilles qui indiquent à chaque instant
l'opération qui s'exécute à l'intérieur de l"appareil.
Quelques instants avant que la pose ne commence, l'aiguille du deuxième cadran passe sur les mots : Préparez-vous, puis attention, et dès qu'elle arrive au secteur noir portant le mot pose, celle-ci com­mence et la sonnerie que l'on aperçoit au-dessus des cadrans fonctionne pendant toute sa durée qui est habituellement de 3 à 6 secondes. Au bout de quelques instants, l'opération totale ne durant quc cinq minutes, le portrait sort terminé par le côté.
En somme, l'appareil de M. Enjalbert prépare la couche sensible, l'impressionne, la développe et la termine par un séchage et un vernissage, le tout sans opérateur.
M. Enjalbert,, a adopté un procédé qui n'est plus guère employé que par les photographes forains, mais qui a l'avantage de donner le résultat en quelques in­stants. Ce procédé connu sous le nom de ferrotypie, consiste à faire une épreuve au collodion humide sur une plaque de métal très mince recouverte d'un vernis du Japon parfaitement noir et glacé. L'é­preuve, quoique négative, se détache en positive par réflexion, et grâce au fond noir donné par le vernis elle apparaît suffisamment nette. On peut observer les mêmes résultats avec les négatifs ordinaires, et beaucoup d'opérateurs ont l'habitude de mettre leur cliché sur leur manche ou devant une étoffe sombre pour voir l'image en positif.
Si les avantages de la ferrotypie sont multiples, elle offre l'inconvénient de nécessiter des opérations multiples, car il faut préparer la plaque ferrotype de toutes pièces, c'est-à-dire la collodionner, la passer au bain d'argent, puis, après la pose, effectuer les opérations du développement, du fixage, du lavage, du séchage et du vernissage. Tout cela se fait méca­niquement dans l'appareil automatique.
Pour satisfaire notre curiosité, enlevons le devant de l'appareil, et examinons l'intérieur, qui est d'un réel intérêt.
La partie inférieure renferme des accumulateurs électriques actionnant un moteur électrique. La par­tie
supérieure contient les divers récipients avec les divers
produits nécessaires; la partie moyenne, tout le mécanisme qui permet de réaliser les diverses opérations photographiques (fig. 3).
Nous renoncerons à décrire d'une façon précise ce mécanisme admirablement étudié et réalisé. Nous dirons seulement que si l'on ouvre l'appareil, et qu'on le regarde fonctionner, on voit d'abord la co­lonne qui contient les plaques superposées et sépa­rées par des cadres qui serviront à encadrer les épreuves une fois terminées. Ces plaques sont sai­sies par un chariot et poussées par le premier support mobile.

 

Le chariot en se retirant  dégage  le cadre qui sort de l'appareil par la gauche.
Vient ensuite le collodionnage. Dans un récipient à niveau constant, ou fon­taine   intermittente,   II (fig. 3),M.Enjalbert fait plonger un compte-gouttes qui pénètre par une ouverture du cou­vercle, formé d'une membrane de caoutchouc destinée à éviter toute évaporation. Le compte-gouttes amorcé est relevé verticalement pour dé­poser le collodion sur la plaque convenablement t inclinée. Pour ces opé­rations,    la   plaque   est saisie   par des supports que   le   courant   trans­forme au moment voulu en électro-aimants. Une fois que la plaque a été égouttée,   et que le col­lodion  a été assez éva­poré, elle est saisie par un   crochet   et poussée sur le support de la se­conde   case.  La plaque est   plongée  d'un   seul coup dans la cuvette de nitrate d'argent D et y reste l'espace d'une minute. Pendant ce temps, elle  est  secouée plusieurs fois, principalement à la fin,   pour fa­ciliter le dégrais­sage, du collodion. La  plaque   vient ensuite en place pour la pose, en C.   La   pose  est réglée à l'avance et aussi  souvent que   les   circon­stances l'exigent, par   une   touche triangulaire    qui se rapproche  ou s'éloigne du cen­tre du commuta­teur et qui pro­longe   ou   dimi­nue le contact de l'obturateur. Pendant  tout  le temps que  l'ob­turateur   reste   ouvert,   un   timbre,  comme   nous l'avons dit précédemment, prévient qu'on n'a pas à bouger. L'épreuve impressionnée est saisie comme la première case par un crochet qui la pousse sur le support de la troisième case.
Dans ce compar­timent, la glace est développée, lavée, fixée et lavée à nouveau. Le mouve­ment giratoire du sup­port l'emmène au-dessus d'un entonnoir et sous le robinet de dévelop­pement, toujours dans le sens de l'égouttement de la plaque, pour éviter les taches. Le robinet est terminé en forme de pomme d'arrosoir aplati qui distribue le liquide en un jet plat. L'eau, pour le lavage, passe également dans la même pomme d 'arrosoir nettoie, en même temps qu'elle lave la plaque, le robinet, pour éviter tout dépôt occasionné par le bain de dévelop­pement. La glace est en­suite plongée dans la cu­vette de fixage, F, conte­nant du cyanure de potassium et revient en­suite pour être lavée une dernière fois. Dans    le   quatrième compartiment la plaque est d'abord lavée à l'alcool et ensuite vernie à la gomme laque ; elle reste quelques temps pour se sécher au-dessus d'un tube chauffé intérieurement par une lampe spéciale. La pla­que vient ensuite s'engager dans une canalisation qui la projette au dehors de l'appa­reil. Après toutes les opérations, la plaque tombe dans un conduit qui la livre au client. Toutes les opé­rations sont terminées et n'ont demandé que cinq minutes.
Enfin, en dernier lieu, ce qui nous frappe le plus dans l'appareil de M. Enjalbert, c'est le talent et l'ingéniosité qui ont présidé à son exécution. Nous nous permettrons, pour notre modeste part, de féli­citer vivement M. Enjalbert de sa très curieuse in­vention, et nous espérons que les lecteurs de La Nature éprouveront autant d'intérêt que nous, à l'étude de cet appareil nouveau et original.
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